Avec ces élections, les deux principaux groupes pro-européens voient leur nombre de sièges stagner ou diminuer. Notons que, comme la composition de certains groupes politiques peut être amenée à évoluer au cours des prochaines semaines, les chiffres présentés dans cet article se fondent uniquement sur les projections faites le jour du résultat du scrutin.
Le Parti populaire européen (PPE), auquel est affilié entre autres le parti Les Républicains, est arrivé en tête et devrait voir son nombre de sièges légèrement augmenter, passant de 176 à 185 par rapport à la législature précédente. En pourcentage, le groupe PPE stagne, récoltant 25 % des sièges, comme pendant la législature précédente. Le deuxième groupe du Parlement européen, le groupe socialiste (S&D), a obtenu 137 sièges, soit soit 2 de moins qu’en 2019.
Les libéraux du groupe Renew, dans lequel siègent les eurodéputés français de Renaissance, sont également en difficulté : le groupe ne compte plus que 79 sièges, soit une baisse de 20 sièges par rapport à 2019. Les écologistes du groupe Vert ont également vu leur nombre de sièges diminuer, passant de 71 à 52. Les effectifs du groupe de gauche radicale (GUE-NGL) ont également baissé, passant de 37 à 36 sièges.
Les sondages l’avaient annoncé : la droite radicale sort renforcée de ces élections. Les deux groupes politiques de droite radicale ont vu leur effectif augmenter.
D’une part, les Conservateurs, groupe dans lequel siège notamment le parti de la première ministre italienne Giorgia Meloni (Frères d’Italie), disposent dorénavant de 73 sièges au Parlement européen, contre 69 pendant la législature précédente. Ce nombre pourrait encore augmenter dans les prochaines semaines avec l’intégration possible dans le groupe du Fidesz de Viktor Orban.
D’autre part, le groupe Identité et Démocratie (ID), dont les membres les plus importants en termes de sièges sont le Rassemblement national et les Italiens de la Ligue du Nord, a également connu une progression, avec 13 députés supplémentaires, passant de 49 à 62 élus.
Reconfiguration et fragmentation du Parlement européen
Les élections européennes de 2024 vont sans aucun doute contribuer à reconfigurer le Parlement européen, avec la baisse des forces traditionnelles pro-européennes et la consolidation de la droite radicale eurosceptique.
Les deux principaux groupes pro-européens, le PPE et le S&D, qui dominent le Parlement européen depuis plusieurs décennies et coopèrent fréquemment pour voter les politiques européennes, voient leur poids baisser dans ce nouveau parlement. Il s’agit d’une tendance de fond : alors qu’ils détenaient 65 % des sièges pendant la 5e législature (1999-2004), les deux groupes ont perdu cette majorité pendant la 9e législature, ne détenant plus que 47,5 %. À l’issue des élections de 2024, les groupes PPE et S&D ne disposent plus que de 44 % des sièges.
En parallèle de la baisse des forces pro-européennes, la droite radicale eurosceptique sort gagnante de ce scrutin. Pris ensemble, les groupes ECR et ID détiennent désormais 133 sièges (18 %), soit 15 sièges de plus qu’à la législature précédente. Si des reconfigurations internes à ces groupes pourraient avoir lieu, avec notamment des discussions sur l’appartenance du parti allemand AfD au groupe ID, une possible entrée du Fidesz polonais dans ECR ou un rapprochement avec ID, il ne fait aucun doute que la droite radicale a acquis un poids considérable dans l’espace politique européen et pourrait avoir un impact significatif sur le processus décisionnel pendant la prochaine législature.
Ces évolutions renforcent la fragmentation du Parlement européen. Un parlement est considéré comme fragmenté lorsqu’il y a une multiplication et une dispersion des forces politiques pouvant exercer une influence sur la prise de décision. Ainsi, une situation avec six partis politiques ayant un poids similaire sera plus fragmentée qu’une situation avec six partis parmi lesquels dominent deux partis puissants.
L’indicateur développé par les chercheurs Markku Laakso et Rein Taagepera, qui mesure le nombre effectif de groupes politiques en tenant compte de leur poids, permet de percevoir la lente fragmentation du Parlement européen (voir graphique). La baisse du poids des groupes PPE et S&D et la montée en puissance de la droite radicale ont renforcé ces dernières années le caractère fragmenté du Parlement européen.
L’impact de la fragmentation sur la prise de décision
Au Parlement européen, aucun groupe ne détient la majorité absolue. Les coalitions se forment donc au cas par cas, en fonction des textes soumis au vote. Ce processus est plus délicat dans un parlement fragmenté, car les majorités nécessitent le soutien d’un plus grand nombre de groupes politiques, et chaque groupe peut se retrouver en position de pivot, influençant l’issue d’un vote.
Pendant la législature précédente (2019-2024), la fragmentation a conduit à une consolidation de la grande coalition. Dans ce contexte plus instable, les groupes PPE et S&D ont été incités à coopérer davantage pour adopter les textes législatifs, et se sont plus souvent appuyés sur le soutien d’autres groupes pro-européens, comme Renew et, dans une moindre mesure, les Verts.
En effet, si le PPE et le S&D ont pu, bien que rarement, former des majorités sans les libéraux avant 2019, cela est devenu impossible après 2019 : le groupe Renew a été inclus dans les négociations sur la totalité des textes législatifs, comme le Pacte vert, le Pacte sur la migration et l’asile, la politique agricole commune, ou encore le règlement sur les services numériques.
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Cette fragmentation a renforcé le caractère consensuel du processus décisionnel. Au niveau de l’UE, la plupart des politiques résultent d’un compromis entre les différentes institutions européennes, notamment entre le Parlement et le Conseil des ministres. Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi le consensus est devenu institutionnalisé au Parlement européen : la proximité pro-européenne des groupes PPE et S&D, la nature technique des textes législatifs, qui réduit la compétition politique, et la nécessité pour les eurodéputés de présenter une position unifiée pour faire front commun dans les négociations avec le Conseil des ministres. La montée des forces de droite radicale et eurosceptiques est un facteur supplémentaire, incitant les groupes PPE et S&D à coopérer davantage pour limiter leur influence sur le processus décisionnel.
Après 2024, quelles coalitions pour adopter la politique européenne ?
Le premier scénario pour la prochaine législature est le renforcement de la grande coalition, composée du PPE, des Socialistes (S&D) et des Libéraux (Renew). Comme lors de la législature précédente, la fragmentation du parlement et la montée de la droite radicale devraient inciter les groupes pro-européens à coopérer davantage pour adopter les législations de l’UE, limitant ainsi l’influence des groupes eurosceptiques. La pratique de la négociation entre le PPE et le S&D, devenue progressivement une norme informelle de travail au Parlement européen, ainsi que les divisions au sein de la droite traditionnelle concernant une alliance avec la droite radicale, rendent ce scénario d’autant plus probable. Cette coopération devrait s’avérer décisive sur les textes où les blocs de gauche ou de droite sont divisés, notamment en matière de politique migratoire ou étrangère.
Bien que les groupes PPE, S&D et Renew devraient continuer de coopérer, certaines coalitions alternatives pourraient devenir plus fréquentes. Alors que la perte de sièges pour les Verts et les Socialistes complique la formation de coalitions de gauche, la montée en puissance de la droite radicale pourrait augmenter la fréquence des majorités de droite dirigées par le PPE et soutenues par les groupes Renew, ECR et ID. Ce scénario est renforcé par l’idée d’un rapprochement entre le PPE et ECR, soutenu par Ursula von der Leyen, tête de liste du PPE et actuelle présidente de la Commission. La droite radicale est également de plus en plus présente dans des gouvernements nationaux (Italie, Suède, Finlande, Pays-Bas, Croatie).
Ces majorités de droite, qui ont récemment permis d’affaiblir ou rejeter des textes environnementaux portant par exemple sur la réglementation liée aux pesticides pourraient devenir plus courantes lors de la prochaine législature. Mais leur formation reste incertaine. Selon les dernières projections, seule une coalition rassemblant l’ensemble des groupes de centre droit, de droite, et droite radicale (Renew, PPE, ECR, et ID) pourrait atteindre la majorité. Ces coalitions devraient être peu fréquentes en raison des divergences idéologiques entre ces forces politiques.
La formation des coalitions de droite dépendra donc de la stratégie de certains groupes, notamment les Libéraux. Réunir Renew et la droite conservatrice et radicale (ECR et ID) semble compliqué, certaines délégations nationales de Renew s’y opposent et préfèrent maintenir la grande coalition. De plus, ces majorités pourraient manquer de stabilité en raison des fortes divisions au sein de la droite radicale. Enfin, le PPE jouera un rôle majeur dans la prochaine législature, pouvant choisir de s’allier soit avec la gauche (S&D) soit avec la droite conservatrice. Une situation qui pourrait créer au sein du PPE de fortes divisions internes, entre ses membres centristes et radicaux.
Awenig Marié, Docteur en science politique au Centre d'étude de la vie politique (CEVIPOL), Université Libre de Bruxelles (ULB) and Nathalie Brack, Associate professor, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.